Urbanisme et Moto

Sur Twitter l’autre jour j’ai lu ça :

Salut camarade. Tu me permets de t’appeler camarade ? Je suis motard aussi donc je me sens un peu proche de toi. Bon je suis cycliste aussi, et je voulais réagir à tes tweets au sujet de la circulation dans Paris. C’était un peu long, alors j’en ai fait un post de blog

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Il y a plusieurs éléments que je voulais aborder, d’abord généraux, ensuite spécifiques aux 2-roues motorisés.
1. Généralités sur la fluidité du trafic
1.1. Ce qui ne marche pas, nulle part :
Tu écris que « l’astuce pour moins de pollution c’est un trafic fluide et constant »
C’est a priori une évidence, et pourtant c’est empiriquement faux. Toutes les villes qui ont cherché à fluidifier le trafic automobile font face à des problèmes de pollution et de congestion majeurs. Exemple de Los Angeles qui depuis les années 1920 ne mettait en place que des axes larges et à sens unique en espérant fluidifier le trafic. Échec total : voilà 40 ans que la ville souffre de façon chronique d’embouteillages tentaculaires alors qu’ils ont des autoroutes urbaines en 2×6 voies. Tu trouveras ici un article (dont est issue la photo ci-dessous) sur une étude qui prouve que Los Angeles a les pires embouteillages de toutes les villes US. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir mis des autoroutes en ville pour fluidifier le trafic.
2x6 voies saturées à Los Angeles

2×6 voies saturées à Los Angeles

Il en va de même pour des villes plus récentes comme Dubai ou beaucoup de villes chinoises : aucune réflexion d’urbanisme quant au fait que le tout-auto ne fonctionne pas. Voilà ce que ça donne (source)

Trafic à Dubai

Pourquoi ça ne marche pas ? La réalité c’est qu’en zone urbaine, tout le monde va peu ou prou au même endroit au même moment. Et que l’auto est le moyen de transport le plus encombrant qu’il soit (1.2 personne en moyenne en occupant 10m2 d’espace public).
Donc si on fait plus de place aux autos, au détriment des autres moyens de transport urbain qui sont tous plus efficaces en densité (vélo<bus<tram<métro<train), on incite les usagers à rouler en auto. Donc il y a plus d’auto. Donc des embouteillages. Donc on élargit les voies. Donc il y a moins de place pour les autres moyens de transport, donc les usagers prennent plus leur auto. Et ainsi de suite jusqu’à saturation de l’espace public. Partout, toujours, les tentatives de fluidifier le trafic motorisé sont des échecs.
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1.2. Ce qui fonctionne :
Paradoxalement ce qui marche c’est de faire moins de place aux voitures. De limiter le trafic à ceux qui en ont vraiment besoin (services publics, secours, transports en commun, artisans, livreurs, taxis..). Pas aux automobilistes qui roulent seuls dans leur caisse pour faire quelques kilomètres en râlant contre tous les cons qui ne prennent pas le métro et qui les encombrent. Réduire le nombre de voies fonctionne parce que ça réduit le trafic.
Les contre-exemples qui fonctionnent bien ce sont les villes avec beaucoup de place pour le transport urbain dense, donc les transports en commun et le vélo. C’est notamment Copenhague, Amsterdam et les villes néerlandaises en général, qui dans les années 70 étaient pourtant envahies de bagnoles (super article dont est tiré la photo ci-dessous).
Amsterdam, d'une ville polluée et encombrée à une ville agréable et dynamique

Amsterdam, d’une ville polluée et encombrée à une ville agréable et dynamique

Vancouver, qui a supprimé ses autoroutes urbaines, favorisé les vélos et transport collectifs et redonné vie à son centre-ville. Séoul a fait de même et remplacé son autoroute urbaine par un parc autour d’une rivière (article source de la photo).
 korea-seoul-cheonggyecheon-2008-01
Bientôt Londres, où la circulation cycliste explose. Ou encore Barcelone, dont le plan d’urbanisme quadrillé d’axes larges à sens unique était pourtant conçu pour fluidifier le trafic, qui commence à interdire l’accès aux voitures à certains quartiers, excepté véhicules de secours ou de service. Et transports en commun et vélo.
La réalité c’est qu’on n’a pas l’intention de forcer les gens à faire du vélo ! Même aux Pays-Bas ils ne représentent que 35% du trafic. Chacun est libre de choisir son moyen de transport. Reste qu’il y a objectivement des moyens de transports qui représentent certains degrés de nuisance pour les autres. On est libre de circuler comme on veut.. du moment qu’on ne réduit pas la liberté des autres. C’est exactement pour ça que la place de la voiture en ville est problématique : elle impose sa place aux autres de manière très exclusive alors qu’il serait impossible de permettre à tout le monde de rouler en auto.
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2. La moto en ville
Évidemment tu sais déjà qu’une bagnole ça encombre et c’est pour ça que tu roules à moto. Du coup le 2e point que je voulais partager avec toi c’est pourquoi, alors que j’ai mon permis A, et que j’adore la moto, je roule à vélo en ville. Je vais répondre à cette question en repartant des points que tu soulèves dans tes tweets.
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2.1. Tu penses qu’une moto encombre comme un vélo? Voici la photo d’un stationnement vélo aux Pays-Bas (la gare Centrale de Delft, source).
Parking vélo de la Gare Centrale de Delft (rep' à ça, SNCF)

Parking vélo de la Gare Centrale de Delft (rep’ à ça, SNCF)

Oui, il y en a sur 2 étages. C’est le parking vélo de la gare centrale de Delft. Honnêtement tu ne mettrais pas la moitié de Deux-Roues Motorisés (2RM) dans cet espace. Parce qu’un vélo ça pèse entre 10 et 20kg et qu’à part le guidon, ça fait 15cm de large. Pas vraiment comparable, non ? En interfile, si t’es un motard costaud, tu passes avec 1 mètre entre les voitures. A vélo je passe avec 50cm en roulant (mon guidon en fait 42). Et si ça descend à 30cm, je pose les pieds, je lève l’avant et hop, l’embouteillage je le remonte sans souci.
Cette semaine j’étais beaucoup entre Paris et le 93. Deux fois à porte de Clignancourt ça passait pas. Rien. Même pas 20cm entre les caisses. J’ai porté mon vélo au-dessus de ma tête, marché sur le trottoir vélo à la main et traversé la Porte en 1min. Les motos ont mis plus de 10min sans exagérer. Cet été j’initiais un pote motard au vélo. Il roule en er6n. Pas une Rocket3, nan, un petit roadster de débutant. Pourtant il hallucinait de voir avec quelle aisance on peur remonter les files rapidement à vélo.
Et pour le stationnement, un vélo tu peux le ranger chez toi !
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2.2. Tu penses que la moto pollue peu ? C’est à moitié vrai. Les motos génèrent quand même des particules fines à cause de l’injection directe, et beaucoup de Composés Organiques Volatils qui sont très agressifs pour les poumons (surtout les vieilles motos). Honnêtement est-ce que tu aimes rester sans casque intégral derrière la ligne haute d’un scrambler ou d’un T-max ? C’est pas agréable non ? Bah quand tu pollues pas c’est comme quand tu pètes pas. T’aimes pas subir les gaz des autres. C’est à ça que servent les sas cyclables et les pistes ou bandes cyclables. Nous on roule sans pomper des gaz nocifs dans les poumons des autres donc on demande juste à ne pas avoir à se prendre les gaz directement dans les naseaux.
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2.3. Tu penses que la moto est plus rapide ? C’est vrai que sur les grands axes roulants je me fais pourrir par les motos (surtout qu’elles sont pas toujours à 50…). Mais je cruise sans forcer à 40-45 km/h (j’aime aller vite, j’ai un vélo de course). Si je m’énerve je monte à 50 (mais rarement, il faut vraiment avoir la route dégagée et pas de piéton. Et un peu de déclivité ça aide !). À 40 j’ai la même sensation de vitesse qu’à moto à 70 ou 80 en ville. Sans perdre de point, risquer ma vie ni celle des autres. Et j’accélère moins vite mais du coup me me prends pas de piéton tardif ni de grilleur de feu.
De toute façon sur les grands axes la vitesse est généralement limitée par les feux. Par exemple sur Réaumur ils sont synchronisés à 30. Sur les quais hauts Rive Droite et Rive Gauche, plutôt 35. Sur Rivoli c’est 20-25 (la vidéo est de moi). Les motorisés accélèrent puis se retrouvent arrêtés aux feux tous les 100m. Moi je me cale à la bonne vitesse et à chaque feu je les dépasse 2 secondes après le feu vert (pour éviter les fameux grilleurs). Le temps que les motorisés redémarrent (merci le start/stop et les oublis de repassage en 1e !) je leur ai collé 50m ou 100m dans la vue. Et au feu suivant ils seront ralentis par la vague précédente d’automobilistes qui roulaient à 50 pleine balle… pour se retrouver à 0 au feu ! Toute cette débauche d’énergie, 75.000Watts pour faire moins bien qu’un cycliste qui tourne à 175 watts ! Bref je suis très souvent plus rapide que les motards alors que je respecte les feux. Ma moyenne en ville est autour de 25km/h. Aussi vite avec aussi peu d’énergie, ça te donne l’impression d’être le plus intelligent du troupeau, c’est addictif !
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2.4. Tu penses qu’on transpire plus à vélo ? En fait entre le moteur qui chauffe, les bottes, le blouson et la dorsale, le casque… je transpire plus à moto. À vélo tu modules ta température avec ton effort et le refroidissement éolien. Et si tu n’arrives pas à rouler lentement, tu prévois des lingettes pour t’éponger les dessous de bras et une chemise de rechange au bureau. Basta !
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2.5. Tu ne comprends pas tous ces cyclistes qui dénoncent les incivilités des 2-Roues Motorisés ? Tu as la sensation d’être plus attentif aux autres que l’automobiliste moyen et je te crois parce qu’en tant que motard tu sais ce que c’est qu’être fragile. Tu vois ta sensation de fragilité envers les bagnoles ? Les cyclistes ont la même envers toi. Tu fais 3 à 4x leur poids, tu accélères fort. Tu roules vite par rapport à eux. Même si tu as l’impression de faire attention, quand tu dépasses trop près, quand tu rentres dans une piste cyclable pour gagner du temps, quand tu te mets dans le sas cyclable au feu rouge, outre le fait qu’on n’aime pas se prendre les gaz alors qu’on pollue pas (voir plus haut) et le bruit alors qu’on est silencieux (voir plus bas), tu fais peur aux cyclistes fragiles (enfants, personnes âgées ou enceintes) ou simplement les cyclistes pas aussi téméraires que moi. Du coup ils ont peur et roulent en bagnole. Objectivement tu préfères qu’ils roulent en caisse et ajoutent à la congestion ou bien qu’ils roulent paisiblement à vélo sans risquer ta vie ni polluer ? Bref le respect des pistes c’est pas anodin.
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2.6. Tu trouves que les 2-Roues Motorisés ne sont pas si bruyants ?
C’est un peu pareil pour le bruit. Ok un gros cube qui passe à côté à bas régime tu l’entends moins qu’un turbo diesel. Mais à haut régime tu sais bien que ça gueule (il y a même des moment où j’aime ça). Mais en ville, c’est stressant, c’est pénible. C’est pire pour les petites cylindrées qui sont toujours en surrégime et les boîtes de vitesse à CVT des scooters qui gueulent en permanence. Je ne parle même pas des pots dechicanés. Oui ça rend sourd. C’est pas pour rien que la plupart des circuits moto imposent des limites sonores !
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2.7. Alors je dis pas que les cyclistes sont tous parfaits. Il y en a qui font n’importe quoi. Je sais qu’il y a parfois des motards auxquels il arrive des trucs graves à cause d’un cycliste qui roule comme une merde. Un peu comme les piétons. Mais comme le piéton, le cycliste il ne va pas t’écraser. S’il te coupe la route, il va prendre vraiment cher. C’est pour ça que c’est pas si fréquent que ça. Dans la vidéo ci-dessus où je descends Rivoli, en 3m40, je dépasse ou croise 25 cyclistes. Aucun ne grille de feu. Le trafic est trop important ce serait dangereux. Même si on a l’impression d’en voir souvent, les grillages de feu sont rarement insensés c’est pour ça qu’il y a si peu de cyclistes tués (c’est un peu comme les excès de vitesse à moto, mais en moins dangereux ha ha ! ^^). À vélo comme en moto, il y a quelques connards mais pas beaucoup de suicidaires. Et globalement, même s’ils sont parfois difficile à anticiper, bah tu préfères les avoir à vélo qu’en bagnole. Parce qu’ils ne polluent pas l’air que tu respires et ne risquent pas de jouer aux quilles avec ta meule.
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2.8. Allez, pour finir sur une note plus positive (d’autant que moi, comme énormément de cyclistes, je suis attentif et je respecte le code de la route, merde !) : Tu penses que j’ai oublié que le plaisir à moto est plus grand ? En vrai, le plaisir à moto tu le trouves à prendre de l’angle sur les routes viroleuses où à taper des chronos à Carole. À raconter les arsouilles entre potes avec un peu d’exagération et beaucoup de mauvaise foi. La moto passion objectivement tu la trouves pas en interfile sur les maréchaux ou à faire des départs arrêtés entre les mazouts et les feux rouges. Ça, c’est du scooter. Pour un motard ça donne juste des pneus carrés et des sueurs froides..
À vélo en ville tu découvres que rien ne peut te ralentir durablement (travaux, accident, livreur, road rage…). Au pire, tu redeviens piéton et tu marches sur le trottoir, le vélo à la main pour passer l’obstacle. Tu sais toujours combien de temps tu mettras. Tu ne dépends pas du pétrole saoudien ou des variations du brut et des taxes. Tu es ton énergie propre (dans les deux sens du terme).
Tu redécouvres la sensation de liberté que tu as eu quand tu es passé du métro ou de la bagnole à la moto. Tu as l’impression de hacker le système tellement c’est efficace. Tu roules sans faire de bruit, sans encombrer, sans être bloqué par les autres ou dépendant d’une technologie que tu ne maîtrises pas, de l’économie ou de la géopolitique.
Liberté absolue.
Allez je m’arrête. Je te dis à bientôt. Si jamais tu croises en Île de France un cycliste avec des gants moto c’est peut-être moi. N’hésite pas à taper la discute. J’adore parler aux motards (t’avais remarqué ?).  Et si c’est pas moi s’il te plait, sois attentif comme tu aimerais que les caisseux soient attentifs à toi !
Amicalement
frère la route

9 réponses à “Urbanisme et Moto”

  1. alpincesare dit :

    Intéressant, mais je doute que ça ait un quelconque effet sur le trafic 2RM à Paris. Il faut les interdire, tout simplement. Le 2RM est une spécificité franco-italienne, quasi inconnue ailleurs en Europe.

    Et imposer le covoiturage : interdiction de rentrer dans Paris à moins de quatre personnes dans la bagnole.

    • frerelaroute dit :

      Merci pour votre commentaire !

      Je nuance votre propos sur le fait que les 2-roues Motorisés seraient inconnus ailleurs en Europe.
      Je vis entre Paris et Barcelone. Croyez-moi Paris est loin d’être une « capitale de la moto » en comparaison. Ils sont extrêmement nombreux, au point qu’ils bénéficient de presque la moitié de la surface de stationnement de la ville. Ils ont même des « sas 2RM » à certains feux rouges sur les grandes artères. Pour Barcelone c’est certainement une conséquence de l’importante déclivité de certains quartiers. La ville essaie de réduire leur place à cause… de la pollution et du bruit ! Et de promouvoir les VAE à la place.

      On en trouve aussi énormément là où on ne s’y attend pas : à Amsterdam. Avec une bizarrerie toute néerlandaise : les cylindrées inférieurs à 50cc sont autorisées sur les pistes cyclables et sont dispensées de port de casque à la condition d’être bridées à 25km/h ! Mélange des genres étonnant. La conséquence du bridage à 25km/h (soit presque la moitié du bridage en France – 45km/h) est qu’ils sont beaucoup plus silencieux, ne montant qu’à la moitié du régime auquel on est habitué à les entendre en France. Ce qui change la vie.

      Je dois en avoir une vidéo tournée à Amsterdam, je vous la diffuserai

  2. Jeanne à vélo dit :

    Super billet. Merci !
    Je le garde dans un coin de mon navigateur.

  3. jeanneavelo dit :

    Excellent billet, merci !
    Je le garde dans un coin de mon navigateur, ça pourrait servir. 😉

  4. Claude dit :

    Merci pour ce billet que j’aurais intitulé « Urbanité et Moto » tant il replace au coeur du débat l’individu plutôt que sa machine. Bien sûr, il y est question du partage de l’espace (pour se déplacer et aussi pour stationner) qui est une question d’urbanisme… A ce sujet, une remarque fort ancienne d’Alfred Sauvy, économiste français du siècle dernier qui circulait à mob dans Paris : la place occupée par une voiture en circulation n’est pas 10m2 mais bien 2,5-3m multipliés par la somme de sa longueur et de l’espace de sécurité qui la sépare du véhicule qui la précède, soit beaucoup plus que 10m2 surtout si la circulation est rapide ! (Cf. »Les 4 roues de la fortune » publié en 1968!). Cet espace est inutilisable pour les autres, piétons comme cyclistes. C’est d’ailleurs ce qui fait qu’à largeur égale le débit d’une rue en piétons est largement supérieur au débit de la même rue en motorisés et que l’on a pu confiner les piétons sur des trottoirs aussi exigus. Il faut donc arbitrer entre vitesse et débit. Dans nos villes anciennes que l’urbanisme de l’époque n’avait pas faites pour la voiture, le débit optimal s’obtient avec des trottoirs confortables, des vélos et des VAE sur le tablier surtout si on met en perspective qu’entre 30 et 50 kmh un piéton heurté a 9 fois plus de « chances » de passer de vie à trépas… Raison pour laquelle le nombre de « Ville30 » s’accroit autant en France qu’en Angleterre où déjà plus de 15 millions de personnes sur 85 millions vivent à « twenty mph ».

    Sites utiles :
    fub.fr
    ville30.org
    ruedelavenir.com
    20splenty.org

  5. Isabelle dit :

    Merci pour cet article précis et précieux.

  6. Sulli Corp dit :

    J’ai espéré trouver un commentaire de l’intéressé auquel tu répondais qui te disais :

    « Sérieux ? ben écoute, si tu peux me préter un vélo, je veux bien tester … »

    Mais je crois que j’ai un peu rêvé.

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